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Gare maritime, novembre 2011



Avec cinq livres publiés et plusieurs textes parus en revues, Sarah Keryna est une voix qui creuse dans les souvenirs de la mémoire et l’espace du présent, pour saisir un réel qui se livre par petites touches sur la page du livre.

Les textes de Sarah Keryna sont des fragments de quotidien à la fois autonomes et, comme les souvenirs, imprévisibles dans leur façon de surgir et de s’associer dans l’espace de la page. Ils sont des prélèvements de réel qui, parfois, tendent à se rapprocher de la forme du journal poétique. Car il est fréquent qu’une date ou que le nom d’un lieu démarre le poème.
Notations, énumérations, listes parfois, voix entendues ou simple mot suivit de sa traduction… on songe alors au titre de son troisième livre : Les miettes. Elles nous livrent ce qui reste de la vie qui va, de l’instant vécu.
 
A lire Sarah Keryna, on plonge dans l’au-dedans d’un je intime qui se donne à lire à travers l’au-dehors dans lequel ce je évolue. Les gestes les plus quotidiens font écho aux nouvelles du monde données par la radio. Le brin de muguet acheté, le feutre violet retrouvé voisinent avec le calme d’un dimanche, la mort de Charles Trenet ou encore l’énumération du nombre d’habitants des grandes villes du globe.

On navigue du présent le plus immédiat au passé resté vif dans la mémoire. Que celui-ci soit patiemment exploré et rendu sous la forme d’un dialogue avec l’aïeule née au début du siècle (comme dans On a toujours été séparés) ou qu’il soit juste évoqué par les bribes d’un journal tenu en 1983 venant faire écho au texte qui s’écrit près de dix ans plus tard (comme dans la dernière partie de Rappel), toujours il affleure et s’installe dans le présent du texte.

L’écriture de Sarah Keryna parcours de même la verticale Nord/Sud, cette ligne entre le Nord « des origines » et le Sud « de l’enfance ». Elle est, on pourrait dire, habitée par les lieux. Car il est question de lieux souvent, de villes plus précisément et certaines reviennent d’un livre à l’autre, particulièrement Marseille, avec je cite : « sa lumière jamais vue dans une autre ville » et où, dit-elle encore, « A peine avais-je le pied posé sur le sol que je revivais ». Il est question de déplacements aussi, de « Transits », de trains et de sacs portés sur le dos. Point de fuite, son premier livre paru en 2001, évoquait déjà une remontée en train du sud vers le nord dans une écriture comme rythmée par les soubresauts du wagon.

Si son  univers fait penser à celui de Sabine Macher, c’est peut-être et avant tout par cette émotion particulière qui surgit de l’extrême simplicité du détail et de l’écriture.
Proximité donc, échos c’est sûr, mais Sarah Keryna travaille cependant une langue bien à elle. Celle-ci est simple, faite de phrases courtes (parfois un mot), de vers, aérés au départ et qui se sont densifiés avec le temps.
Elle nous dit dans Les miettes :  « Je fais les choses avec la peur constante d’être interrompue.» Et c’est peut-être pour cela, grâce à cela : ce sentiment d’urgence, que son écriture est si vive, vivante, et qu’on la lit un peu comme on a les cinq sens en alerte, dans une attention extrême à ce qui entoure et aux échos que ça fait en soi.


Ecoutons-là. Ce soir il n’y a pas à craindre d’être interrompu.


Le matricule des anges, octobre 2007

Rappel
Un recueil de trois textes, " Transits ", " Après (quelques dates) " déjà paru en revue, et " Elles cherchent ", dont l'unité réside dans le genre qu'ils mettent en oeuvre : le journal poétique. Genre périlleux s'il en est, l'exercice du poète comme celui du diariste étant grandement exposé au risque de la complaisance narcissique. Ici, à 35 ans, l'écrivain travaille sur la terre meuble du présent le plus immédiat, mais aussi ose des incursions dans un passé plein de douleur, en parvenant le plus souvent à échapper à un vain naturalisme que nous prodiguent par ailleurs tous supports et médias actuellement en vogue. Sarah Kéryna cultive l'art de la surface. Sur un ton distant mais jamais blasé, s'astreignant à la pudeur et à la retenue, elle produit de courtes phrases dépouillées à l'extrême qui rebondissent comme des balles contre la matière du vécu, en ignorant ostensiblement la profondeur.
Elle annule, techniquement, la différence entre le tragique : " La boule fichée sous ma peau./ Comment a-t-elle fait pour pousser ainsi sans/ que le je sache ? " et l'insignifiant : " Par ma fenêtre,/ le mimosa d'hiver est jaune vif,/ électrique ". Si profondeur il y a, le verbe ne l'explique pas mais plutôt la montre, la figure, en quelque sorte l'engendre par effet indirect des formes linguistiques alignées. En vain on y chercherait des mots tels que vertige, absurde ou finitude ; au lieu de manier les concepts, l'écrivain tend à faire éprouver les réalités qu'ils recouvrent. Elle sait user de la ritournelle, tel souffle rythmique mais angoissé, et de la citation. Et parvient à déranger les spectres refoulés derrière la mécanique huilée de notre quotidien.
Rappel de Sarah Kéryna
Le Bleu du ciel, 61 pages, 10 e